L’évolution du système de santé français vers l’intégration des médecines alternatives ?

Dans le cadre de mon parcours universitaire en master  Management et qualité des soins, nous avions un travail de recherche à mener en unité d’enseignement de sociologie. J’ai choisi de vous partager des extraits de cet écrit dans cet article. Cet écrit fait état d’un nouveau regard en questionnant l’apport des médecines non conventionnelles, d’un système institué à une démarche instituante.

De ma première piste de recherche émerge une volonté de travailler à la mutation en cours du système de santé français. Si on associe l’alternatif au conventionnel pour appréhender le monde d’après avec des espaces d’échanges et de dialogue, nous permettons l’ouverture d’un espace de transition et d’interaction. Nous serions alors en mesure de permettre l’implication du commun, redonner du sens et en redonnant du sens, restaurer une forme de confiance.

Nous retenons que le concept de médecine prend pour dominance les sciences qui, paradoxalement dans le but de prendre soin et préserver la santé, peuvent être plus ou moins invasives.

« Prendre soin, c’est à la fois se relier les uns aux autres, de manière individuelle, expressive, globale, et s’absorber dans le détail minutieux de la chose même, avec le dévouement technique mais à la préserver de la dégradation ! » (Worms).

Nous pouvons nous questionner quant au mouvement enclin à notre système de santé actuel. Il apparait une première problématique qui est de rechercher comment s’établit un système de soin commun alors que la notion même de pratiques médicales instituées dans le système de santé français contemporain se conceptualise différemment des médecines alternatives.

La communauté scientifique est garante de la mise à jour du contenu des sciences qui, elles-mêmes produisent un champ de connaissances à partir de méthodes d’investigations rigoureuses, vérifiables et reproductibles. Ces méthodes sont donc à la fois la conséquence et aussi l’outil à l’origine de ces connaissances ; elles produisent des connaissances se rapprochant le plus possible des faits observables. Les sciences ont pour but de comprendre les phénomènes et d’en tirer des prévisions justes, pour en permettre des applications fonctionnelles. Ainsi, si nous connaissons les lois et nous réunissons certaines conditions, certains résultats se produiront. Par là même, si les conditions sont réunies, les résultats se produisent. La production de vérité à laquelle se réfère la communauté médicale se développe donc au travers d’un regard objectivé, soumis à une démarche déterministe dans le but de s’assurer le fondement d’un système toujours meilleur.

Les médecines conventionnelles répondent donc à un processus de légitimation. Pourtant, la demande et la consultation des français en médecines alternatives ne cessent d’augmenter. Rappelons que les médecines alternatives sont considérées comme des PSNC puisque :

«Dans la très grande majorité des cas, les pratiques de soins non conventionnelles n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques ou cliniques montrant leurs modalités d’action, leurs effets, leur efficacité, ainsi que leur non dangerosité. … Les effets indésirables des PSNC sont mal, voire non connus, car il n’y a pas eu d’évaluation rigoureuse préalable à leur emploi, et peu ou pas de données publiées. De plus, les professionnels qui utilisent ces PSNC ne déclarent pas ces effets indésirables. » (Ministère des solidarités de la santé, 2017)

Ces faits soulèvent une nouvelle recherche questionnant une forme possible de « désobéissance civile » participant à détourner le système de santé. Cela faisant écho à une réflexion sur la « légitimité d’un débat sur le légitime et l’illégitime » (Lefort, 1986). Nous percevons dans celle-ci qu’à partir de la conscience citoyenne, critique du bien-fondé du légal, s’ouvre la nécessité de travailler au statut des médecines alternatives dans la légitimité d’approfondir la justesse structurelle de notre système au sein de la démocratie.

En médecine conventionnelle, tout acte est évalué selon une balance bénéficie-risque et le système de santé français est basé sur un comportement solidaire. Des contraintes financières sont donc inhérentes aux décisions qui sont-elles-mêmes soumises au principe d’efficience. Ce pilotage vise à saisir la partie objectivable des symptômes et de la maladie formalisés. Aussi, l’investigation est de plus en plus précise, voire fragmentée pour un symptôme, d’autant lorsqu’il s’agit de celle d’un spécialiste réputé ne traiter qu’un organe ou une dysfonction précise.

Les médecines alternatives non conventionnelles quant à elles n’abordent pas le soin à partir d’un référentiel collectif et d’une culture d’efficience ciblée. Elles portent leur regard sur le malade dans une dimension holistique. Dans sa conception, les paramètres observés peuvent être invisibles puisque le somatique y est potentiellement relié à une origine psychologique et affective. Elles placent la personne au centre de la démarche, ce qui demande une approche individualisée globale en prenant en compte toutes les dimensions gravitant dans sa vie. Cela rend l’expérimentation ni reproductible ni quantifiable, si ce n’est que la valeur sensible d’un individu. Le bénéfice est d’acquérir une meilleure maitrise sur sa propre santé par l’organisation d’un cadre général de vie le lui permettant. Il s’agit donc de reconnaître et de promouvoir la compétence et la responsabilité propre de chacun dans ses choix de santé, notamment en matière de prévention et de soins.

Pourtant, les médecines alternatives se sont développées insidieusement dans des conditions presque incontrôlées en pratique privée. Une première prise en considération officielle a eu lieu quand plusieurs universités ont pris l’initiative d’enseigner certaines d’entre elles en créant des diplômes universitaires et interuniversitaires. Sous l’effet conjugué de la faveur du public et des réponses insatisfaisantes de la médecine conventionnelle, face à un nombre de troubles fonctionnels, cela s’est instauré́ sans concertation ni planification. Puis, toujours sous la pression du public et pour ne pas négliger a priori des moyens de soin auxquels certains attribuent des vertus, quelques services hospitaliers ont mis à la disposition des patients des pratiques de cette nature. Force est de constater qu’à l’heure actuelle certaines figurent au programme de presque toutes les facultés, dans l’usage de tous les centres d’oncologie, dans celui de la plupart des Centres hospitaliers Universitaires (CHU) et, semble-t-il, de nombreux centres hospitaliers et établissements de soins privés.

« Elles sont un élément probablement irréversible de nos méthodes de soins, elles sont en tous cas appelés à un réel intérêt dans le choix de principe. Leur prise en considération par des dirigeants de l’hospitalisation publique, le désir de mieux les connaître pour les évaluer et, le cas échéant, en organiser le développement rend évidente l’importance qu’elle revêt à l’évolution du système de santé. Leur insertion dans les soins dispensés par les hôpitaux, notamment les CHU, semble présenter un réel intérêt si elle est comprise non comme une reconnaissance et une valorisation de ces méthodes, mais comme un moyen de préciser leurs effets, de clarifier leurs indications et d’établir de bonnes règles pour leur utilisation » (Académie nationale de médecine, 2013).

 Le colloque singulier, de l’art de guérir à l’altérité 

Dans l’art de la médecine s’expose toute la difficulté de conserver la part morale dans la rencontre avec l’autre, en attente et en souffrance. Cet autre qui a son vécu propre, sa subjectivité, formule un discours pour qu’un médecin ayant la connaissance, puisse répondre au patient dans le besoin. De la relation soignant-soigné résulte systématiquement une tension entre ce qui peut être de la connaissance objective et généralisante et l’expérience subjective de la rencontre singulière. Alors dans une époque où les progrès sont fulgurants, qu’en est-il de la production de cet art ?

 La médecine humaniste supplantée par la technicité 

Les techniques actuelles sont toujours plus innovantes grâce aux progrès des sciences. Aujourd’hui, la composition de l’ouvrage médical s’en voit bouleversée en mettant sur le devant de la scène les examens paracliniques dits complémentaires et les thérapeutiques médicamenteuses. Cela en va même à anticiper l’utilisation de la clinique par des diagnostiques de plus en plus précoces, et des traitements de plus en plus actifs. L’apparat technique d’imagerie, d’endoscopie, d’explorations fonctionnelles et la biologie offre l’espoir d’accumulation de preuves dont la conjoncture donne figure à la maladie. L’image remplace la parole qui peut se libérer le temps d’un long interrogatoire et de l’examen complet. La prescription automatique accélère le processus, et les chiffres alimentent la classification rigoureuse propre à l’efficience. Qu’il s’agisse alors de la décision du geste chirurgical, de la prescription, de la décision de mettre sous forme de recommandation une pratique qui sera embarquée dans des procédés plus ou moins invasifs, la question de la place de la personne humaine se pose puisque de nouveaux maux peuvent surgir de la pratique qui vise à en éviter.

Dans l’art de soigner, il y a donc comme vecteur principal, la relation entre le patient et le médecin. Alors, du fait de nos valeurs humanistes universelles, il y a toujours un jeu d’altérité devenant subtile à l’ajout des progrès donnant de plus en plus d’outils au médecin pour façonner son art.

Où commence la violation de la vie humaine dans la portée invasive du soin mais aussi dans la violence faite au citoyen ?

Si le doute ou l’absence de réponse existe, cela peut inspirer une crainte, ce qui ouvre la possibilité à des fraudes, des abus, des transgressions voire à entraver l’observance. Le comportement du patient vis-à-vis de la médecine peut ainsi devenir ambivalent. Puisque convaincu et même séduit par les avancées de la recherche, il peut être en même temps déçu, et parfois révolté, par les nombreux domaines où les résultats des traitements sont insuffisants, ou encore inquiet des inconvénients dont leurs effets sont assortis. Dans cet esprit de relative défiance vis-à-vis de la médecine, les patients peuvent être tenter de se tourner, sans en informer leur référent médical, vers des pratiques non conventionnelles dont les vertus leur ont été vantées par les multiples sources d’information non contrôlées qu’offre notre société.

Le recours à ces pratiques est aujourd’hui tel que leur diffusion a pris une étonnante extension, près de « 4 français sur 10 leur font appel, dont 60 % parmi les malades du cancer » (Conseil national de l’Ordre des médecins,2015).

Aussi, autrefois on ne parlait pas de médecines complémentaires mais de médecines douces. C’est un terme qui devançait l’alternative écologique en proposant un monde lent et doux par opposition à un monde dur, violent, technique et scientifique en marche. Alors, au jour où les idéaux de performance rationnelle installent un contexte de doutes et mettent les vies humaines en situation de vulnérabilité à l’échelle internationale, les médecines alternatives ne seraient-elles pas une piqure de rappel des médecines humanistes ?

La démarche de santé contemporaine vit un renversement ; il en résulte une mutation à accompagner dans le paysage du soin. La santé n’est plus une affaire personnelle, où le patient s’en remet à un seul médecin humaniste. Le moment historique que nous traversons révèle la dimension collective de la vulnérabilité actuelle et la vétusté du système de soin. Le vivant de notre temps est en quête de valeurs fondamentalement universelles, peut-être même « unis vers elles ».

Les conséquences du monde extérieur, sur nos vies quotidiennes, nous confrontent à des nouvelles menaces où, dans ce même temps s’opère une inversion du rapport de force entre le malade, les professionnels et le système de santé. La perspective de retrouver, dans notre gouvernance démocratique, un universalisme concret, nous est amenée par une forme de désobéissance civile. Aussi, partant du postulat que la praxis commune crée l’action collective de la société, alors, pour être en bonne santé nous avons besoin d’accorder la confiance à l’« empowerment capacitaire » (Fleury, 2015) du citoyen. La signification éthique et géopolitique du phénomène conduit vers la pertinence d’observer un renouveau dans la pratique du soin.

Or, comment notre système de santé peut-il être consenti par le commun si l’inclusion des médecines alternatives dans l’entreprise collective de production de connaissances n’est pas conceptualisée selon la portée sociale et géopolitique qu’elle porte ?

 

Audrey SYLVESTRE